Comme je vous l’ai dit
hier, grande M. a passé des examens
de français et de maths en janvier et février. Au cours des dernières années,
ma relation avec la direction de l’école de quartier, qui est responsable de
vérifier que je scolarise bien ma fille selon le Programme du Ministère, a été
plutôt tendue car j’ai toujours préconisé la présentation d’un portfolio plutôt
que des évaluations formelles.
J’ai quand même pris plaisir à assembler un portfolio avec
grande M. Comme elle avait déjà été évaluée en français et en maths, nous avons
décidé de présenter les autres matières du programme, ainsi que nos sorties et
activités avec le groupe d’école maison. Nous avons passé beaucoup de temps à
trouver des photos, des feuilles d’exercices, des résumés, des programmes de
pièces de théâtre et d’activités auxquelles nous avons assisté, etc. Grande M. a, sans aucune surprise, choisi de
présenter plusieurs activités artistiques.
Deux enseignantes de 6e année ainsi que le
directeur d’école nous attendaient pour la rencontre de présentation du
portfolio. Je suis toujours surprise qu’ils mobilisent autant d’intervenants
juste pour nous, sachant à quel point ils sont tous débordés… Grande M. a
présenté son portfolio elle-même, expliquant chacune des activités et la raison
pour laquelle elle a choisi de les mettre dans le portfolio. Ils ont écouté
poliment, mais seul un texte critique rédigé par grande M. sur une pièce de
théâtre à laquelle nous avons assisté a semblé vraiment attirer leur attention.
Finalement, ils nous ont dit que le portfolio était
incomplet, qu’ils voulaient voir des « preuves » d’exercices en
français et en maths (le directeur s’est ensuite repris en disant qu’il voulait
dire des « traces » et non des « preuves », mais son lapsus
est quand même révélateur…). Je leur ai expliqué qu’étant donné qu’ils avaient
déjà pu voir ce dont grande M. est capable en français et en maths, je croyais
plus pertinent de leur montrer ce qu’on travaille dans d’autres matières, et qu’elle
fait de belles sorties et est bien « socialisée ». Mais ce n’est pas encore suffisant pour eux.
C’est à n’y rien comprendre. Les années passées, ils ne
juraient que par les examens, affirmant qu’un portfolio ne permettait pas de
bien évaluer mon enfant. Cette année, j’accepte les examens, et ils affirment
qu’ils ont à tout prix besoin du portfolio!
Peine perdue…
Je n’y arriverai jamais. Je n’arriverai jamais à les
satisfaire, à les contenter, à les convaincre que je scolarise adéquatement mon
enfant. Ils ne sont jamais satisfaits, en veulent toujours plus. Plus de « preuves »,
plus de « traces ».
Et tout ceci n’est même pas requis par la Loi sur l’instruction
publique! J’ai accepté leurs conditions d’évaluation pour permettre à ma fille
d’être classée dans le bon programme au secondaire, et aussi un peu pour
acheter la paix, n’ayant aucune envie de revivre les conflits et le stress que
je vis depuis le début de mon aventure d’école maison pour cette dernière
année. Ce fut peine perdue…
Un désagréable petit air de déjà-vu
Je suis ressortie amère et déçue de cette rencontre. À ce
moment-là, j’ai ressenti un vif sentiment de déjà-vu.
J’ai pensé à toutes les fois où j’ai rencontré des
spécialistes avec ma fille, depuis qu’elle est toute petite. À toutes les fois
où les médecins, professionnels, intervenants divers qu’on a rencontrés ne m’ont
pas écoutée ou comprise. À toutes les fois où ma voix n’a pas été entendue. À
toutes les fois où j’ai dû me battre pour ma fille, pour que ses besoins et
particularités soient reconnus et respectés. À toutes les fois où j’ai eu l’air
d’une mère tigre devant protéger son petit.
J’ai pensé à toutes les fois où ce que j’ai dit à ces
professionnels, spécialistes, médecins et intervenants ne comptait pas
vraiment, parce qu’à leurs yeux, je suis « juste une maman ».
J’ai déjà été travailleuse sociale. À l’époque, une grande
partie de mes tâches professionnelles était consacrée à l’élaboration de plans
d’interventions avec les clients et une équipe multidisciplinaire. Les plans d’intervention,
ça me connaît. Pourtant, quand je participais à un plan d’intervention pour
grande M. à l’école, du temps où elle y allait, mon expertise professionnelle n’avait
aucune importance. À leurs yeux, je n’étais pas une travailleuse sociale, mais « juste
une maman ». Et j’avais beau tenter de faire valoir mon point de vue,
défendre mon opinion, essayer que des mesures concrètes soient mises en place
pour aider grande M., ça ne servait à rien. Parce que j’étais « juste une
maman ». Je me suis souvent demandé si j’aurais été considérée
différemment si j’avais sorti ma carte d’identité de travailleuse sociale
professionnelle lors de ces rencontres. J’aurais peut-être dû essayer…
Encore une fois, aujourd’hui, c’est comme ça que je me
sentais : j’étais « juste une maman » et à ce titre, ce que je
leur explique, ce que je vois, ce que je fais avec ma grande fille pour la
scolariser à la maison ne compte pas. Ça leur prend des examens, des travaux,
des exercices écrits, toujours plus de « preuves » que je fais ça
comme ils veulent que je le fasse. Ma parole compte si peu… Parce qu’eux sont
les professionnels, parce qu’eux savent, et que moi, je ne sais pas, car je
suis « juste une maman ».
Peu leur importe que je sois celle qui a veillé sur mon
enfant depuis sa naissance, que je sois celle qui la connaît le mieux. Que j’aie
accompagné ma fille à toutes sortes de thérapies depuis qu’elle a quatorze mois :
psychoéducation, orthophonie, orthopédagogie, ergothérapie, neuropsychologie,
alouette! C’était pourtant moi qui mettais en application les recommandations
faites par ces spécialistes. C’est moi qui l’accompagne chez l’endocrinologue
et chez le pédiatre, qui prend soin d’elle quand sa maladie fait des siennes.
Peu leur importe que j’aie dû développer plein de stratégies
pour accompagner ma fille dans son cheminement et son développement depuis sa
naissance, compte tenu de ses nombreux problèmes de développement , d’apprentissage
et de santé. Et que je sois diplômée universitaire en travail social, en plus d’avoir
fait plus de la moitié du bacc. en enseignement primaire, dont deux stages et
tous les cours de didactique. Devant eux, quand je fais l’école à la maison, je
suis « juste une maman ».
Un peu de confiance et de bonne foi, svp?
Je comprends très bien que les acteurs scolaires doivent
jeter un coup d’œil sur ce que font les familles qui scolarisent leurs enfants
à la maison. Personne ne veut que des enfants soient négligés ou laissés à
eux-mêmes sans recevoir d’éducation adéquate. Mais entre un total laisser-aller
et un contrôle ressemblant drôlement à de la mauvaise foi, serait-il possible
de trouver un juste milieu?
Est-ce qu’il serait possible, un jour, que les parents
soient reconnus comme des personnes intelligentes et capables de s’occuper de
leurs enfants, y compris de leur éducation?
Est-ce trop demander de ne plus être considérée comme « juste
une maman », mais bien comme un parent-éducateur compétent et qui a le
bien-être de son enfant à cœur?
Est-ce possible de créer un climat de confiance dans lequel
la parole du parent est respectée et crue?
Je n’ai pas fini de me battre!
Ce soir, en parlant de tout ça avec Alexandre, j’ai réalisé
que je n’avais pas fini d’être « juste une maman ». L’an prochain,
grande M. ira au secondaire et le bal des plans d’interventions et des
rencontres parent-enseignant reprendront. Encore une fois, je devrai faire
valoir mon point de vue, défendre mon enfant, me tenir debout. Et espérer être
entendue et reconnue, même si je suis « juste une maman »…