Je ne sais plus combien de fois j’ai entendu cette
exclamation depuis que j’ai retiré mes enfants de l’école. On me l’a dite sur
tous les tons : surpris, enthousiaste, curieux, mais aussi parfois outré,
sceptique, voire même méprisant.
Généralement s’ensuit la question qui tue : « Mais
pourquoi? »
La réponse courte : parce que le passage de grande M.
dans le système scolaire a été catastrophique.
La réponse longue, la voici.
Avant toute chose, il faut que vous sachiez que grande M. a
quelques particularités médicales et développementales dont j’ai parlé lors des
présentations. Si vous n’avez pas lu ce billet, je vous conseille de le faire d’abord.
;-)
Depuis sa naissance, grande M. ne fait rien comme les
autres. Suivie dès 15 mois en psychoéducation pour un retard moteur, puis dès 2
ans pour un retard important au niveau du langage, il était déjà évident qu’elle
avait un rythme de développement bien à elle.
Elle a commencé la maternelle à 5 ans, comme tous les autres
enfants, mais en ayant déjà ce bagage de retards derrière elle, et en étant
parmi les plus jeunes de surcroît, étant née en juillet. Au fond de mon cœur,
je savais bien qu’elle n’était pas prête, mais que pouvais-je y faire? Le
système scolaire fonctionne par « année de fabrication » des enfants,
pas par rythme de développement et d’apprentissage… Elle avait 5 ans, elle
devait commencer l’école, c’est comme ça. On m’avait dit qu’au pire, elle
pourrait doubler sa maternelle.
Et c’est exactement ce qui est arrivé. Dès la maternelle, il
était clair qu’elle n’arrivait pas à suivre le rythme. La psychologue de l’école
l’a évaluée, l’orthopédagogue aussi. Puis, nous sommes allés la faire évaluer
en neuropsychologie, en ergothérapie et à nouveau en orthophonie, au privé bien
sûr. Les hypothèses de troubles et la longue liste de diagnostics ont commencé.
Au terme de cette première année à l’école, il a été conclu qu’elle n’était
définitivement pas prête à passer en première année. Doubler la maternelle s’imposait.
L’année suivante, elle a donc repris le chemin de la
maternelle. Heureusement, nous avions déménagé dans le courant de l’été et elle
a changé d’école; elle ne s’est donc pas vraiment rendu compte que ses anciens
amis de la maternelle étaient tous montés en première année. Sa deuxième
maternelle ne s’est pas mieux passée que la première : elle n’arrivait pas
à suivre le rythme, n’écoutait pas pendant les causeries, n’arrivait pas à
apprendre les sons, les lettres et les chiffres. Elle a été suivie dès le début
de l’année par l’orthopédagogue, mais les progrès étaient lents à venir. Très
lents. Elle était aussi suivie en ergothérapie, au privé, pour l’aider au
niveau de la motricité.
Comme elle ne pouvait tout de même pas « tripler »
sa maternelle, elle est passée en première année l’automne suivant. Vous aurez
compris que la situation ne s’est aucunement améliorée… Cette année-là, nous
avons appris qu’elle était atteinte d’une maladie rare des glandes surrénales,
et elle a également été évaluée à la clinique des troubles complexes de
développement. La liste des diagnostics s’est allongée, et les rendez-vous en
pédiatrie et en endocrinologie se sont ajoutés à l’ergothérapie. Elle avait
toutes les misères du monde à apprendre à lire, à écrire et à compter. Elle
prenait du retard. Elle manquait souvent l’école en raison de ses nombreux
rendez-vous. On nous disait qu’elle manquait trop souvent de jours de classe et
qu’elle n’arriverait pas à rattraper son retard. Mais que pouvions-nous y
faire?
L’enseignante a décidé de la garder en classe pour faire des
travaux pendant les récréations et de lui donner des devoirs supplémentaires
pour rattraper les retards accumulés. Elle n’avait donc plus de temps pour jouer,
courir, décompresser et son comportement s’est détérioré. Elle se levait en
pleine classe pour bouger et pour danser. Elle dérangeait les autres en
papotant sans arrêt. Les intervenants scolaires ont mis en place un « passeport de
comportement », indiquant un point vert, jaune ou rouge selon la journée.
Évidemment, cela n’avait aucun autre effet que de créer une grande frustration
chez grande M., et avec raison. Tiraillés entre les intervenants scolaires et
notre fille, nous ne savions plus quoi faire en tant que parents. On nous a
parlé de médication pour contrôler son TDAH. Nous avons accepté, espérant de
tout notre cœur que ça aiderait notre fille, et le pédiatre nous a remis la
prescription.
Malgré ses échecs et ses difficultés, elle est passée en
deuxième année. Après un an d’essai de médication pour le TDAH, ma fille n’était plus que l’ombre
d’elle-même. Au départ, pourtant, ça semblait donner des résultats vraiment
positifs : grande M. était plus calme, ne dérangeait plus en classe, était
plus posée. Mais les effets secondaires étaient très importants, et malgré l’essai
de deux types de médication et plusieurs ajustements de dosage, ils ne se sont
jamais estompés. Elle ne dormait plus, ne mangeait plus. Elle avait l’air d’un
zombie. Et surtout, elle ne voulait pas prendre ces médicaments. Chaque matin,
c’était la guerre. « Maman, je ne veux pas prendre ça! Je ne me sens pas
bien quand je les prends! Je ne me sens pas MOI! » Chaque jour où je
cédais et ne lui donnais pas, l’enseignante me téléphonait ou écrivait une note
à l’agenda pour m’inciter à lui donner le lendemain. « Elle dérange en
classe, madame. » Tiraillés, encore une fois, torturés, nous ne savions
plus quoi faire. Ses notes baissaient, son comportement se dégradait. De
surcroît, trop grande pour son âge en raison de sa maladie des glandes
surrénales, mais immature en raison de ses autres diagnostics, elle n’avait pas
vraiment d’amis à l'école, ne trouvait sa place nulle part.
Un jour, je suis entrée dans le salon et j’ai aperçu grande
M., assise sur le sofa, immobile. Elle fixait droit devant elle, dans le vide.
Son regard était triste. À ce moment-là, j’ai reçu un coup de poing dans le
ventre.
Ma fille s’était éteinte de l’intérieur.
Tout d’un coup, les notes n’avaient plus aucune importance,
ni les bulletins, ni l’opinion des intervenants scolaires, des spécialistes et
des médecins.
Ma fille s’était éteinte, et je voulais la retrouver, avec
toute son énergie, sa joie de vivre, les étincelles dans ses yeux.
Je me souviendrai toujours de cette conversation que j’ai
eue avec ma grande amie Michèle, assise autour de sa table de cuisine. Je lui
racontais combien j’étais désespérée, inquiète pour ma fille, combien je me
sentais démunie et impuissante face à ses difficultés. Elle m’a simplement dit :
« As-tu pensé lui faire l’école à la maison? » Et j’ai bien vite
répondu : « Je ne peux pas faire ça! Je ne serai pas capable! S’ils
ne sont même pas capables de lui enseigner à l’école, comment je pourrais
réussir, moi? »
Dans sa grande sagesse et sa grande zénitude, mon amie n’a
pas essayé de me convaincre, ni d’argumenter. Elle savait sans doute que je n’étais
pas prête à envisager cette option, et que j’étais terrifiée. Pourtant, l’idée
a fait son chemin, et a germé dans ma tête et dans mon cœur. J’en ai longuement
discuté avec mon amie Stéphanie, qui m’a aussi beaucoup aidée dans ma
réflexion.
Quant à Alexandre, il a sauté à pieds joints dans ce projet
dès que je lui en ai parlé. Ayant eu lui aussi un parcours scolaire très
difficile, il a tout de suite été convaincu que faire l’école à la maison était
une excellente idée. Après tout, selon lui, pouvions-nous vraiment faire pire
que le système scolaire? Confiant et enthousiaste, il a attendu patiemment que
la grande angoissée que je suis accepte de plonger dans le vide et de me lancer
dans ce projet.
Nous étions alors rendus au printemps, et la fin de l’année
scolaire approchait. Nous avons cessé la médication pour le TDAH, au grand dam
des intervenants scolaires. Nous avons complètement arrêté de nous en faire
pour les résultats scolaires de grande M. Déjà, la pression est descendue de
façon incroyable, et nous avons tous pu recommencer à respirer.
Je me souviendrai toujours de la rencontre que j’ai eue avec
le directeur de l’école, au cours de laquelle il m’exposait les options qui s’offraient
à nous pour M. D’abord, j’étais estomaquée par les « solutions » qu’il
me proposait, qui n'en étaient pas vraiment à nos yeux et qui ne nous convenaient pas du tout. Ensuite, je n’en pouvais
plus, et grande M. non plus. Je lui ai annoncé que j’avais moi aussi une
solution : je ferais l’école à la maison. Je lui ai dit que nous n’avions
rien à perdre d’essayer. Il ne savait plus trop quoi dire. Et moi, j’étais
soulagée comme jamais.
L’année scolaire s’est terminée, et mes enfants ne sont pas
retournés à l’école depuis. Grand A., bien que n’ayant aucune difficulté
scolaire, a décidé d’essayer l’école à la maison lui aussi. Honnêtement, ça
faisait bien mon affaire, n’ayant aucune envie d’enseigner à ma fille le jour
et de faire les devoirs et les leçons avec mon fils le soir! Ça me semblait
bien plus facile de les avoir tous les deux à la maison.
Le projet d’école à la maison a d’abord été une façon de
sauver notre fille. M. n’est pas faite pour l’école. Et l’école n’est
visiblement pas faite pour M. Il fallait essayer autre chose, faire autrement. Au
fil du temps, c’est devenu un mode de vie pour notre famille au grand complet,
et ça a transformé complètement ma façon de voir l’apprentissage.
Et surtout, surtout, j’ai retrouvé ma belle M. Souriante,
rieuse, taquine, des étincelles plein les yeux, elle est redevenue elle-même.
Et ça, ça vaut tout l’or du monde.
Je n'avais aucune idée du parcours qui t'a mené à vouloir faire l'école à la maison. Je savais que M. avait un diagnostic complexe, mais tous ces effets sur elle... Ayayaye! Ça m'a mis les larmes aux yeux de lire ça... Quelle grande maman tu es!
RépondreEffacerMerci, ma belle Viv :-) Ça a été un parcours scolaire ardu, mais maintenant que c'est terminé, nous sommes tous très soulagés :-)
EffacerChapeau ! Ça me lève le coeur de voir les intervenants prôner la médication et que la commission vous mette des bâtons dans les roues pour continuer d'enseigner à la maison. Comme si un moule unique pouvait convenir à tous...
RépondreEffacerMerci beaucoup pour ton soutien et tes encouragements. Je suis parfaitement d'accord avec toi : un moule unique ne peut absolument pas convenir à tous. Pourtant, c'est ce que le système scolaire offre à nos enfants...
EffacerBravo pour le courage de votre décision, des enfants peuvent rester très malheureux très longtemps à l'école sans que personne autour ne réagissent. Il peut s'en suivre des conséquences graves...c'est important d'être à l'écoute! ton texte m'a fait verser une larme! bon je suis enceinte mais quand même...
RépondreEffacerMerci pour ton commentaire et tes bons mots, j'apprécie :-) De t'avoir touchée me fait un petit velours, mais je vais humblement mettre ta petite larme sur le compte des hormones de grossesse. Bonne continuité de fabrication d'être humain!
EffacerBonjour Julie,
RépondreEffacerMoi, j'ai versé une chaudière de larmes! Je suis une maman de 3 garcons. Moi dernier est en difficulté d'apprentissage sévère. Son école de quartier ne veut plus de lui...il a trop de retard sur les autres. Leur solution...l'envoyé en autobus dans une autre école dans une classe formation adaptée! Ma solution à moi, c'est comme toi de pouvoir lui faire l'école à la maison sauf que j'ai peur de ne pas êtes à la hauteur!
Caroline