Mes vertiges ne passent toujours pas, et me dérangent au
plus haut point ces temps-ci. Je suis absolument incapable de faire les
exercices prescrits par mon physio, car ils consistent à accentuer
volontairement les symptômes afin de désensibiliser mon cerveau. Par contre, je
suis totalement non-fonctionnelle après les avoir faits! Comme je dois m’occuper
de mes enfants à temps plein et que j’ai toujours un ou deux tout-petits dans
les bras, ce n’est pas du tout envisageable (ni sécuritaire, d’ailleurs) d’être
constamment étourdie et nauséeuse.
Ce soir, j’ai eu la chance de lire le commentaire de Rebelle
des Bois, qui suggérait, suite à la lecture de mon dernier billet sur mes séquelles
de labyrinthite, d’essayer de comprendre la cause de mes vertiges.
Elle a tellement raison! Je suis allée prendre un bain, au
cours duquel j’ai beaucoup réfléchi (et ratatiné, tellement j’ai trempé
longtemps dans l’eau!). J’ai replongé dans le passé, au moment où j’ai été
atteinte de cette terrible labyrinthite dont je subis les séquelles encore
aujourd’hui. C’est une période difficile de ma vie dont j’ai choisi de vous
parler, mais il est parfois nécessaire de se remémorer ce qu’on a traversé pour
mieux avancer par la suite.
Il y a quatre ans, j’étais travailleuse sociale. Je venais à
peine de finir mon bac., au cours duquel j’ai fait mon stage au programme
Famille-Enfance-Jeunesse au CLSC. Sitôt sortie de l’université, je me suis
trouvée un emploi en centre de réadaptation, auprès des enfants ayant un
trouble de langage ou un trouble de développement et leur famille, bien
entendu. J’étais si heureuse! J’adorais mon travail, et j’avais toujours
souhaité faire de l’intervention familiale et être entourée d’enfants
quotidiennement.
Malheureusement, toute bonne chose a une fin… Mon
remplacement au programme jeunesse s’est terminé, et j’ai postulé sur un poste
au programme adulte, même si je n’étais pas particulièrement attirée par cette
clientèle, pour rester en réadaptation. J’aimais beaucoup ce milieu de travail
et j’espérais qu’un poste s’ouvre en jeunesse éventuellement.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à travailler auprès de
gens atteints de maladies dégénératives (comme la sclérose en plaque, le
Parkinson ou la SLA, par exemple) ou ayant eu un AVC ou un cancer du cerveau.
Autant vous le dire tout de suite : j’ai détesté cet emploi dès le premier
jour. Je ne m’y sentais pas à ma place, je me sentais incompétente, mal
préparée et mal formée pour intervenir auprès de ces clients et de leur
famille. De plus, j’ai découvert un tas de maladies dont j’ignorais l’existence,
et que j’aurais sincèrement préféré ne jamais connaître tant elles étaient
horribles!
Malgré tout, je voyais ce nouveau poste comme un défi et une
belle opportunité d’élargir mon champ de compétences. Mon équipe de travail
était absolument formidable et c’est grâce à mes super collègues que je réussissais
à garder le moral. De plus, je ne travaillais que trois jours par semaine, ce
qui était parfait étant donné que je devais accompagner ma fille chez l’ergothérapeute
chaque semaine, en plus de devoir communiquer régulièrement avec l’orthopédagogue
et l’enseignante.
Ce nouvel emploi, qui était franchement hors de ma zone de
confort, et tout le stress engendré par la situation particulière de ma fille,
ont tranquillement commencé à m’écraser. Je sentais bien mon moral qui
descendait, descendait, descendait… Mais je tentais de me convaincre que tout
irait bien, que j’allais remonter la pente, que j’allais y arriver.
Un soir, inquiète du retard de mes règles, j’ai passé un
test de grossesse. Une petite ligne rose est apparue. Puis une autre. J’étais
enceinte. Et j’étais paniquée. Nous savions que nous voulions d’autres enfants,
mais je me sentais si vulnérable émotivement et mentalement que j’avais
vraiment l’impression que ce n’était pas le bon moment. J’étais bouleversée… d’être
bouleversée. Moi qui aime tant les bébés, qui voulais une famille nombreuse,
comment pouvais-je ne pas être transportée de joie d’être enceinte? Je ne me
reconnaissais plus.
Parallèlement à tout ça, la santé de ma fille nous
inquiétait. Elle grandissait trop vite, mangeait comme un ogre, et sa puberté
était bien enclenchée depuis qu’elle avait 5 ans (beaucoup trop tôt, il va sans
dire!). Notre pédiatre nous avait envoyés passer des tests en endocrinologie
afin de comprendre ce qui se passait. L’hypothèse la plus probable était un
dérèglement hormonal bénin et temporaire qui se résorberait sans conséquence.
Alors que j’étais enceinte de 8 semaines, fatiguée, déprimée
et aux prises avec de terribles nausées, nous avons appris que ce n’était pas
qu’un dérèglement hormonal bénin. Ma fille était atteinte d’hyperplasie
congénitale des surrénales, devrait prendre de la médication pour le reste de
ses jours et sa santé (voire même sa survie) pouvait être menacée lorsqu’elle
tombe malade. C’était le choc total. Et comme il s’agissait d’une maladie congénitale
et que j’étais enceinte, on nous a fortement conseillé d’entreprendre une
démarche en génétique afin de savoir si bébé était atteint et si d’autres
anomalies pouvaient être détectées.
À 13 semaines de grossesse, je suis allée passer une
échographie pour le suivi en génétique à l’hôpital Ste-Justine. J’étais très
nerveuse, car je fondais beaucoup d’espoir sur cette échographie pour voir mon
bébé et m’attacher à lui. Ma grossesse me rendait très malade et inconfortable,
et je savais que je me sentirais mieux et que je pourrais commencer à l’apprécier
une fois que j’aurais rencontré ce petit humain qui grossissait en moi.
Quand j’ai vu mon bébé sur l’écran, je suis tombée en amour
avec lui. Je l’ai instantanément trouvé beau. Il était parfaitement formé, et
avait de magnifiques petites mains qui semblaient tendues vers nous. Je l’ai
trouvé calme. Trop calme. Immobile. Mort.
Je ne me souviens plus ce que la généticienne m’a dit. Je
devais avoir un curetage le lendemain matin. Bébé en a décidé autrement. Ce
soir-là, je l’ai accouché dans ma toilette. Puis je suis allée border mes
enfants pour la nuit, comme si de rien n’était. Je n’avais plus de cœur, plus d’âme,
plus de corps, plus de bébé dans le ventre. J’ai pensé devenir folle.
Une semaine plus tard, j’étais de retour au travail. C’est
la durée normale d’un congé après une fausse couche, semble-t-il. J’étais pâle
comme un drap. Je saignais encore beaucoup. J’avais le cœur en lambeaux. J’étais
en deuil de mon bébé. En deuil de la santé de ma fille. Et je devais, chaque
jour dans le cadre de mon travail, accompagner des gens malades et leur famille
dans le processus de deuil et d’acceptation de la maladie. C’était atroce.
Mon moral, déjà pas très haut avant même le diagnostic de ma
fille et la fausse couche, a continué de descendre, descendre, descendre… Et
moi, je continuais à vivre, chaque jour, comme un zombie, un automate.
Quelques semaines plus tard sont apparus les vertiges et la
foudroyante labyrinthite dont je vous ai déjà parlé. Même une fois ce foutu
virus parti, je n’allais pas vraiment mieux. Un soir, Alexandre m’observait et
m’a dit, d’un ton triste : « Tu as l’air tellement éteinte… » J’ai
eu mal, très mal qu’il me dise ça. Je ne suis pas une fille éteinte. Je suis
une fille joyeuse, dynamique, chaleureuse, curieuse. Allumée. Pas éteinte.
Je suis allée voir mon médecin de famille, qui m’a
immédiatement mise en arrêt de travail. Je faisais un genre de « burn-out »,
dû à tout ce que j’avais vécu en si peu de temps. Elle m’a dit que j’étais
allée consulter juste à temps. Une coche de plus, et c’était une dépression qui
me guettait.
Je suis aussi allée voir une extraordinaire psychologue, qui
m’a énormément aidée. Elle m’a dit : « Tu as l’impression que ta vie
est sens dessus dessous, non? Que tu as perdu l’équilibre, que tu ne sais plus
où tu vas. Pourquoi alors es-tu surprise d’avoir des vertiges? La partie de
notre corps qui contrôle l’équilibre, le labyrinthe, est située dans l’oreille.
Que fais-tu chaque jour dans le cadre de ton travail? Tu écoutes des gens te
raconter leur histoire… As-tu besoin que ton corps t’envoie encore un
signe plus clair? »
Non, c’était très clair. Évident même. Comme de l’eau de
roche.
Quelques semaines plus tard, avant même que mon congé de
maladie soit fini, j’ai remis ma démission. Je ne savais pas ce qui m’attendait,
ni où je travaillerais. Ça n’avait plus d’importance. Alexandre, quant à lui,
me supportait à 100 %. Il n’était pas inquiet pour notre avenir, ni pour
nos finances, ni pour ma carrière. Il était inquiet pour MOI, et avait vraiment
hâte que je redevienne moi-même.
Quatre ans plus tard, je ne suis plus travailleuse sociale.
J’ai eu deux autres enfants. Je fais l’école à la maison. Je suis heureuse.
Pourquoi alors ai-je autant de vertiges ces temps-ci? Parce
que mes deux plus jeunes ne font pas encore leurs nuits et que je suis vraiment
fatiguée. Parce que l’entreprise de mon mari est florissante, mais qu’il
travaille un nombre incalculable d’heures. Parce que la fin de l’année scolaire
et la présentation du portfolio me stressent. Parce que je ne pense pas assez à
moi.
Heureusement, je suis à des années-lumière de l’état
misérable dans lequel j’étais il y a quatre ans. Mais mes vertiges me rappellent
que malgré que notre vie soit un tourbillon complètement fou ces temps-ci, je
dois prendre du temps pour MOI. Me faire plaisir. Me gâter, même. Je le mérite
bien, non? Cette fois, je vais écouter les signes que mon corps m’envoie, et je
ne laisserai pas ces vertiges me faire perdre la tête!
J'adore! Tout un défi de penser à soi quotidiennement dans un tourbillon!
RépondreEffacerTout un défi, en effet! Je vais essayer de le relever :-)
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