Ce soir, j’étais en train d’allaiter ma petite É., tout en
la berçant, et je la contemplais. Je regardais ses joues dodues, ses belles
petites lèvres qui souriaient tout en gardant le mamelon bien en bouche, avec
quelques gouttes de lait qui perlaient aux commissures.
J’ai réalisé tout d’un coup que c’est le dernier bébé que j’allaiterai
et ça m’a rendue nostalgique. Ma relation d’allaitement est loin d’être terminée
avec petite É., car elle n’a que 10 mois et je n’ai pas du tout l’intention d’arrêter
bientôt. Tout de même, c’est ma petite dernière et chaque étape me rappelle qu’elle
grandit et qu’elle ne restera pas bébé pour toujours…
L’allaitement est une des périodes que j’aime le plus, en
tant que maman. Pour moi qui n’aime pas tellement être enceinte, mais qui adore
les nouveau-nés, c’est la relation idéale : une parfaite symbiose avec mon
bébé, tout en pouvant profiter de ma liberté de mouvement. J’adore!
Avant d’avoir grande M., j’étais loin d’imaginer que l’allaitement
prendrait une si grande place dans ma vie. J’étais la première de ma famille et
de mon cercle d’amies à avoir un bébé, et les femmes de mon entourage étaient d’une
génération où l’allaitement n’était pas la norme. Je n’avais donc pas beaucoup
de modèles d’allaitement autour de moi.
La grossesse de grande M. a été très stressante. Ayant vécu
une fausse couche juste avant de tomber enceinte d’elle, j’ai passé le premier
trimestre à observer ma petite culotte de façon frénétique, de peur d’y trouver
du sang. Quand finalement j’ai su que bébé était bien accroché, cette fois,
quel soulagement j’ai éprouvé!
Malheureusement, ce soulagement n’a pas été de très longue
durée puisque les inquiétudes se sont de nouveau manifestées au 3e
trimestre. En effet, vers 24 semaines de grossesse, j’ai commencé à avoir des
contractions plutôt douloureuses chaque fois que je faisais un effort physique.
Mon médecin m’a aussitôt mise au repos : c’étaient de vraies contractions
et j’étais à risque d’accoucher prématurément.
À partir de ce moment, je n’ai plus eu qu’une idée en tête :
mener cette grossesse à terme. Je n’étais plus capable d’imaginer à quoi
ressemblerait ma vie avec bébé, ne sachant pas si j’aurais un prématuré ou non.
Avoir un bébé né à 24, 29, 32, 35 ou 37 semaines, c’est complètement différent!
J’ai donc mis toutes mes énergies sur mon bébé, sur mon
bedon, et je n’ai plus fait de projections pour les mois à venir. Chaque
semaine qui passait sans que j’aie accouché était une petite victoire.
C’était très difficile. Je passais mes journées assise ou
couchée, seule avec ma bedaine dans mon appartement. Je devais attendre qu’Alexandre
revienne du travail pour pouvoir sortir. Il poussait ma chaise roulante pour me
promener dans le quartier ou au centre d’achats.
Les regards compatissants que je recevais constamment me
rappelaient que cette grossesse ne se déroulait pas du tout comme je l’avais
rêvé. J’étais jeune, en santé, pourquoi ne pouvais-je pas profiter d’une belle
grossesse? Je me sentais bien loin de l’image de la femme enceinte rayonnante,
épanouie et en forme que j’aurais tant espéré être!
À 32 semaines de grossesse, les contractions ont repris de
plus belle. Lors de l’une d’entre elles, particulièrement forte, un flot de
sang a jailli. Nous nous sommes dirigés à toute vitesse à l’hôpital.
Diagnostic : décollement placentaire et accouchement
imminent. Installée dans la chambre de naissance et un peu paniquée, je ne
comprenais plus trop ce qui se passait. 32 semaines, c’est trop tôt pour
accoucher!
Les médecins m’ont mise sous soluté puis m’ont donné un
médicament pour faire cesser les contractions. C’était la dernière chance de
faire rester bébé dans mon ventre un peu plus longtemps. Tout s’est arrêté. J’étais
à la fois soulagée et bouleversée, car je devais rester hospitalisée jusqu’à l’accouchement.
Le lendemain soir, les contractions reprennent de plus
belle. On augmente mon soluté à un point tel que je suis tout enflée, mais ça
fonctionne : le travail s’arrête à nouveau.
Le lendemain matin, le médecin entre dans ma chambre, l’air
grave : « Écoute, on ne peut pas te garder. On manque de chambres
pour les mamans qui viennent d’accoucher. Je suis obligé de te laisser
retourner chez toi, mais c’est à contrecœur que je le fais. Je te le dis :
tu es une bombe à retardement. Tu reviens directement à l’hôpital si tes
contractions reprennent ».
Il avait l’air si embêté par la situation que j’ai caché ma
jubilation à l’idée de retourner à la maison, dormir dans mon lit et manger de
la nourriture appétissante.
Trois semaines se sont écoulées. Je ne pouvais pas être plus
au repos que ça! Le seul fait d’être debout, même immobile, me donnait des
contractions.
À 35 semaines, grande M. n’en pouvait plus et voulait sortir
de là, coûte que coûte! Quand les contractions ont commencé, à nouveau avec un
flot de sang, nous savions que cette fois-là était la bonne.
L’accouchement a été rapide, mais stressant. Je voyais le
personnel qui s’agitait autour de moi, j’avais peur. À 35 semaines, certains
bébés sont prêts à naître, mais d’autres pas… Dans quel état allait-elle être?
Sitôt née, ils sont partis avec elle. Je me souviens avoir
vu mon reflet dans la fenêtre, seule sur le lit de naissance, le ventre vide et
mou, sans bébé dans mes bras. Où était-elle? Pourquoi ne me l’avaient-ils pas
donnée?
Quand l’infirmière me l’a rapportée, tout emmitouflée dans
une couverture, je l’ai prise comme une poupée. J’étais un peu hébétée, je ne
savais pas quoi faire. On m’a conduite à ma chambre. J’ai supposé qu’elle
allait bien puisqu’ils me l’avaient ramenée.
Une fois rendue dans ma chambre, une autre infirmière est
venue me voir. Elle m’a dit : « Comment s’est passée la mise au sein? »
Quoi? J’étais censée l’avoir mise au sein?
J’ai alors réalisé que je ne savais pas comment faire, que
je ne m’étais même pas demandé si je voulais allaiter ou non. Je m’étais
tellement concentrée sur mon objectif de mener ma grossesse à terme que j’avais
complètement mis de côté tout ce qui concernait les soins à donner au bébé et l’allaitement.
L’infirmière m’a aidée à la mettre au sein. Et là, à ce
moment précis, ma petite poupoune, ma fille, toute petite, née à 35 semaines,
malgré son faible tonus musculaire, a tété et je suis tombée en amour avec
elle. Elle était là, pour vrai, à moi, et je me suis littéralement transformée
en maman tigre.
Ha! je n’étais peut-être pas capable d’avoir une belle
grossesse, ni de la mener à terme, mais j’allais être capable de la nourrir! Et
personne au monde n’allait m’en empêcher.
Au cours du séjour à l’hôpital, ma toute petite mini-puce a
perdu beaucoup de poids. Elle se fatiguait très vite et dormait tout le temps.
Les infirmières me proposaient constamment de la supplémenter, de me tirer du
lait, de lui donner de la préparation. « Son poids, madame! Il faut qu’elle
en prenne au plus vite! »
À chaque allaitement, une ou même deux infirmières venaient
m’observer pour être sûres que j’allaitais correctement. Elles n’hésitaient pas
à me prendre carrément le sein pour lui mettre de force dans la bouche.
J’ai refusé avec véhémence toute préparation commerciale
pour la supplémenter. Je ne sais pas quel instinct m’a guidée à ce moment, moi
qui ne connaissais rien à l’allaitement, ni aux bébés, d’ailleurs, mais c’était
plus fort que moi.
J’essayais tant bien que mal de me tirer du colostrum, mais
je n’y arrivais pas vraiment. Une infirmière est arrivée, m’a pris le sein et a
réussi à faire sortir le précieux liquide. J’étais stupéfaite : comment
avait-elle fait? « Oh, moi madame, je pourrais faire sortir du lait d’un
navet tellement je suis habituée », me répondit-elle avec désinvolture.
Confuse et fatiguée, je me suis demandé si elle venait vraiment de comparer mes
seins à des navets…
Grande M., qui se faisait alors appeler Mini-puce par les
infirmières, ne pesait pas 5 livres. Pas question pour nous de sortir de l’hôpital
tant qu’elle n’atteindrait pas ce poids magique. J’étais épuisée, désespérée de
retourner chez moi, prisonnière d’un excès de surveillance de mon allaitement
et excédée de devoir toujours refuser qu’on la supplémente.
Le troisième jour suivant la naissance de ma petite cocotte,
un pédiatre extraordinaire s’est présenté. Après avoir examiné mon bébé, il m’a
annoncé : « Madame, vous n’arriverez jamais à allaiter ici. Vous
devez retourner chez vous, dans vos affaires, confortable. Je vous garantis qu’elle
commencera à prendre du poids quand vous serez détendue. » Si nous avions
été dans un film américain, je pense qu’à ce moment, une musique grandiose
aurait joué et que le pédiatre aurait été auréolé de lumière. J’étais LIBRE!
Non seulement j’étais libre, mais il me faisait CONFIANCE. À
moi, la petite maman d’à peine 20 ans, qui n’avais pu mener sa grossesse à
terme, qui ne savais pas allaiter!
Et vous savez quoi? Il avait raison. Aussitôt revenue à la
maison, j’ai allaité. Sans arrêt. Jour et nuit, aux heures bien souvent. Et
Mini-puce a grossi. Sa courbe de croissance était verticale! Grâce à MON lait!
J’étais si fière!
Aujourd’hui, alors que j’allaite avec bonheur mon 4e
enfant, je me rappelle toutes les émotions que m’a fait vivre ma découverte de
l’allaitement avec grande M.
D’abord, j’ai appris que j’étais capable de nourrir mon
enfant, de la faire grandir et grossir uniquement grâce à ce précieux liquide
que je fabriquais juste pour elle.
J’ai découvert que j’étais capable de la protéger et de la
défendre. Ma confiance en moi s’en est trouvée augmentée de façon
exponentielle!
J’ai fait la paix avec ma grossesse difficile, en partie
grâce à la réussite de mon allaitement. On en parle peu, mais les femmes qui
ont un bébé prématuré ou qui vivent une grossesse à risque ressentent parfois
un grand sentiment d’échec. Quand on leur dit en plus qu’elles ne peuvent pas
ou ne devraient pas allaiter, alors qu’elles le souhaitent, on leur fait vivre
un échec supplémentaire qui est souvent difficile à surmonter.
Surtout, ma relation d’allaitement avec grande M. m’a fait
tomber en amour avec elle de façon instantanée. Cette première tétée a été si
précieuse et importante pour nous, pour elle et moi!
Aujourd’hui, je savoure les doux moments que m’apporte l’allaitement
avec ma petite É. Ces moments précieux ne nous appartiennent qu’à nous et j’ai
bien l’intention d’en profiter encore longtemps.
Je suis encore nostalgique de mes 4 allaitements... savoure... emmagasine les souvenirs! Bien sûr tous les âges apportent leur magie. Mais la période de l'allaitement et sa proximité ... c'est tout de même une magie incomparable!
RépondreEffacerDes moments magiques, tu as raison! J'en profite au maximum, sachant que c'est la dernière fois que j'allaite un tout petit. Ça me manquera...
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