Prologue
Beurk! Je suis dégoûtée de la race humaine, depuis quelque
temps, et je ne souhaiterais qu’une chose : partir, m’en aller avec ma petite
famille sur une île déserte, loin de la folie et de la violence des Hommes.
On dirait qu’avec tous ces drames, Paris, le terrorisme, et
toutes les horreurs qui se déroulent chaque jour dans beaucoup trop d’autres
pays du monde, je suis un peu gênée de venir parler de mon petit quotidien et
de mes petites misères si vaines ici.
Malgré tout, la Terre continue de tourner et il faut bien
vivre… Et surtout apprécier, savourer chaque instant où nous sommes aimés,
sains et saufs, où nous avons mangé à notre faim, où nous n’avons pas craint
pour notre sécurité, où nous avons pu boire de l’eau potable, dormir bien au
chaud dans un lit confortable. Bref, vivre décemment, tout simplement.
Et un dys de plus
pour ma grande!
Je pensais, maintenant que je n’enseigne plus qu’à ma grande
M. cette année, que les choses seraient plus faciles. Que d’enseigner à un
enfant plutôt qu’à deux serait une vraie partie de plaisir. Que de pouvoir me
concentrer sur elle uniquement irait bien mieux.
J’avais tout faux.
Faire l’école à la maison à un enfant qui a de multiples et
importants troubles d’apprentissage est un défi constant. À son déficit d’attention,
sa dyspraxie, sa dyslexie et sa dysorthographie s’ajoute maintenant une
hypothèse (à peu près sûre) de dyscalculie. En matière de dys, elle a gagné le
gros lot!
C’est donc dire que tous ses apprentissages, autant en
français qu’en maths, sont laborieux. Grande M. apprend, progresse, sans
contredit. Mais lentement. Si lentement.
Chaque jour, je répète inlassablement avec elle des leçons
que nous avons déjà vues mille fois. Quand je vois un blocage, je dois répéter,
réexpliquer autrement, trouver une autre approche, une autre méthode, dans l’espoir
que la notion en question s’enregistre dans son cerveau.
Parfois, bingo! Elle a compris! Et le lendemain, ou quelques
jours plus tard, quand je fais une révision avec elle, ses connaissances
semblent évaporées. Son cerveau enregistre les informations de façon
désordonnée dans sa tête. Souvent, les connaissances sont là, bien classées
dans un tiroir dans son coco, mais où? Dans quel tiroir? Comment le retrouver
pour avoir accès à ces savoirs que nous avons vus et revus si souvent?
C’est un grand, très grand défi. Pour elle, bien sûr. Mais
pour moi aussi. Car un des plaisirs d’enseigner à ses enfants, c’est de voir l’étincelle
dans leurs yeux, quand ils ont compris la matière. C’est de voir leurs progrès,
et de ressentir la fierté de les avoir accompagnés dans leur développement et
leurs apprentissages. C’est extrêmement valorisant et ça donne la motivation de
continuer. J’avais ça, avec grand A.
Cette année, maintenant que grand A. est retourné à l’école,
j’ai beaucoup moins de ces moments magiques où on constate que notre enfant
progresse bien. Parce qu’avec grande M., ces moments sont rares et je ne peux
jamais les tenir pour acquis.
Ce n’est pas sa faute, je ne lui en veux pas du tout! Je
sais bien que son cerveau est fait comme ça et qu’elle n’y peut rien. Je veux l’aider,
l’accompagner, la voir grandir et s’épanouir. Je suis là pour elle et pas
question que je la laisse tomber. Mais c’est dur.
Pas d’école privée l’an
prochain, finalement…
Grande M. n’a pas été acceptée à l’école secondaire privée
où nous espérions l’envoyer. Même pas dans le programme avec soutien, dans
lequel elle aurait pu faire ses secondaires 1 et 2 sur trois ans dans un
groupe réduit. Elle a passé son test de classement en français, ce qui est
réjouissant, mais a solidement échoué en maths. L’école privée juge qu’elle
aurait besoin de beaucoup plus d’aide que ce qu’ils peuvent offrir.
Nous devons donc nous tourner vers l’école secondaire
publique, peut-être vers un programme de cheminement particulier ou la
formation préparatoire au travail. Je ne sais pas. Elle sera évaluée à deux
reprises par l’école de quartier, en cours d’année, pour voir où elle sera le
mieux l’an prochain, au secondaire.
Je suis inquiète. Je me sens poche. J’aurais voulu pouvoir l’aider
davantage.
J’ai décidé de la faire suivre par une orthopédagogue au
privé, une fois par semaine, pour travailler spécifiquement les maths. Ce suivi
s’ajoute à tous ses autres rendez-vous : pédiatrie, endocrinologie,
kinésiologie, orthophonie, alouette!
Savez-vous ce qui est beau, dans tout ça? C’est que ma
grande M., elle, va très bien. Elle n’est pas découragée. Elle n’est pas
vraiment consciente de tout ça. Elle est heureuse, joyeuse, pas du tout
anxieuse, et toujours confiante pour son avenir.
Des fois (souvent), je me demande si j’ai pris la bonne
décision lorsque j’ai décidé de la scolariser à la maison. C’est vrai, je n’ai
pas réussi à la faire progresser académiquement autant que je le souhaitais au
départ, mais au moins, j’ai réussi à préserver son estime d’elle, sa joie de
vivre et son enthousiasme. Compte tenu
de son état psychologique lorsque je l’ai retirée de l’école, je suis loin d’être
certaine qu’elle serait aussi pétillante aujourd’hui si elle y était restée.
Je ne sais pas ce que l’avenir lui réserve. Je ne sais même
pas à quelle école ni dans quel programme elle ira l’an prochain. Mais je ne
dois pas baisser les bras. Je ne laisserai pas les dys enrayer ma confiance en
ma fille!