Qui suis-je?

mercredi 27 avril 2016

"Juste" une maman

Comme je vous l’ai dit hier, grande M. a passé des examens de français et de maths en janvier et février. Au cours des dernières années, ma relation avec la direction de l’école de quartier, qui est responsable de vérifier que je scolarise bien ma fille selon le Programme du Ministère, a été plutôt tendue car j’ai toujours préconisé la présentation d’un portfolio plutôt que des évaluations formelles.

Cette année, ayant accepté qu’elle passe des examens afin de la classer pour le secondaire, je pensais bien que les intervenants scolaires seraient satisfaits, puisqu’ils semblaient tant tenir à ces évaluations... Erreur! Ils m’ont demandé de présenter un portfolio, en plus des examens. Je ne m’y attendais pas, puisqu’ils semblaient si peu intéressés par les portfolios que je leur avais présentés les années précédentes…

J’ai quand même pris plaisir à assembler un portfolio avec grande M. Comme elle avait déjà été évaluée en français et en maths, nous avons décidé de présenter les autres matières du programme, ainsi que nos sorties et activités avec le groupe d’école maison. Nous avons passé beaucoup de temps à trouver des photos, des feuilles d’exercices, des résumés, des programmes de pièces de théâtre et d’activités auxquelles nous avons assisté, etc.  Grande M. a, sans aucune surprise, choisi de présenter plusieurs activités artistiques.

Deux enseignantes de 6e année ainsi que le directeur d’école nous attendaient pour la rencontre de présentation du portfolio. Je suis toujours surprise qu’ils mobilisent autant d’intervenants juste pour nous, sachant à quel point ils sont tous débordés… Grande M. a présenté son portfolio elle-même, expliquant chacune des activités et la raison pour laquelle elle a choisi de les mettre dans le portfolio. Ils ont écouté poliment, mais seul un texte critique rédigé par grande M. sur une pièce de théâtre à laquelle nous avons assisté a semblé vraiment attirer leur attention.

Finalement, ils nous ont dit que le portfolio était incomplet, qu’ils voulaient voir des « preuves » d’exercices en français et en maths (le directeur s’est ensuite repris en disant qu’il voulait dire des « traces » et non des « preuves », mais son lapsus est quand même révélateur…). Je leur ai expliqué qu’étant donné qu’ils avaient déjà pu voir ce dont grande M. est capable en français et en maths, je croyais plus pertinent de leur montrer ce qu’on travaille dans d’autres matières, et qu’elle fait de belles sorties et est bien « socialisée ».  Mais ce n’est pas encore suffisant pour eux.

C’est à n’y rien comprendre. Les années passées, ils ne juraient que par les examens, affirmant qu’un portfolio ne permettait pas de bien évaluer mon enfant. Cette année, j’accepte les examens, et ils affirment qu’ils ont à tout prix besoin du portfolio!

Peine perdue…

Je n’y arriverai jamais. Je n’arriverai jamais à les satisfaire, à les contenter, à les convaincre que je scolarise adéquatement mon enfant. Ils ne sont jamais satisfaits, en veulent toujours plus. Plus de « preuves », plus de « traces ».

Et tout ceci n’est même pas requis par la Loi sur l’instruction publique! J’ai accepté leurs conditions d’évaluation pour permettre à ma fille d’être classée dans le bon programme au secondaire, et aussi un peu pour acheter la paix, n’ayant aucune envie de revivre les conflits et le stress que je vis depuis le début de mon aventure d’école maison pour cette dernière année. Ce fut peine perdue…

Un désagréable petit air de déjà-vu

Je suis ressortie amère et déçue de cette rencontre. À ce moment-là, j’ai ressenti un vif sentiment de déjà-vu.

J’ai pensé à toutes les fois où j’ai rencontré des spécialistes avec ma fille, depuis qu’elle est toute petite. À toutes les fois où les médecins, professionnels, intervenants divers qu’on a rencontrés ne m’ont pas écoutée ou comprise. À toutes les fois où ma voix n’a pas été entendue. À toutes les fois où j’ai dû me battre pour ma fille, pour que ses besoins et particularités soient reconnus et respectés. À toutes les fois où j’ai eu l’air d’une mère tigre devant protéger son petit.

J’ai pensé à toutes les fois où ce que j’ai dit à ces professionnels, spécialistes, médecins et intervenants ne comptait pas vraiment, parce qu’à leurs yeux, je suis « juste une maman ».

J’ai déjà été travailleuse sociale. À l’époque, une grande partie de mes tâches professionnelles était consacrée à l’élaboration de plans d’interventions avec les clients et une équipe multidisciplinaire. Les plans d’intervention, ça me connaît. Pourtant, quand je participais à un plan d’intervention pour grande M. à l’école, du temps où elle y allait, mon expertise professionnelle n’avait aucune importance. À leurs yeux, je n’étais pas une travailleuse sociale, mais « juste une maman ». Et j’avais beau tenter de faire valoir mon point de vue, défendre mon opinion, essayer que des mesures concrètes soient mises en place pour aider grande M., ça ne servait à rien. Parce que j’étais « juste une maman ». Je me suis souvent demandé si j’aurais été considérée différemment si j’avais sorti ma carte d’identité de travailleuse sociale professionnelle lors de ces rencontres. J’aurais peut-être dû essayer…

Encore une fois, aujourd’hui, c’est comme ça que je me sentais : j’étais « juste une maman » et à ce titre, ce que je leur explique, ce que je vois, ce que je fais avec ma grande fille pour la scolariser à la maison ne compte pas. Ça leur prend des examens, des travaux, des exercices écrits, toujours plus de « preuves » que je fais ça comme ils veulent que je le fasse. Ma parole compte si peu… Parce qu’eux sont les professionnels, parce qu’eux savent, et que moi, je ne sais pas, car je suis « juste une maman ».

Peu leur importe que je sois celle qui a veillé sur mon enfant depuis sa naissance, que je sois celle qui la connaît le mieux. Que j’aie accompagné ma fille à toutes sortes de thérapies depuis qu’elle a quatorze mois : psychoéducation, orthophonie, orthopédagogie, ergothérapie, neuropsychologie, alouette! C’était pourtant moi qui mettais en application les recommandations faites par ces spécialistes. C’est moi qui l’accompagne chez l’endocrinologue et chez le pédiatre, qui prend soin d’elle quand sa maladie fait des siennes.

Peu leur importe que j’aie dû développer plein de stratégies pour accompagner ma fille dans son cheminement et son développement depuis sa naissance, compte tenu de ses nombreux problèmes de développement , d’apprentissage et de santé. Et que je sois diplômée universitaire en travail social, en plus d’avoir fait plus de la moitié du bacc. en enseignement primaire, dont deux stages et tous les cours de didactique. Devant eux, quand je fais l’école à la maison, je suis « juste une maman ».

Un peu de confiance et de bonne foi, svp?

Je comprends très bien que les acteurs scolaires doivent jeter un coup d’œil sur ce que font les familles qui scolarisent leurs enfants à la maison. Personne ne veut que des enfants soient négligés ou laissés à eux-mêmes sans recevoir d’éducation adéquate. Mais entre un total laisser-aller et un contrôle ressemblant drôlement à de la mauvaise foi, serait-il possible de trouver un juste milieu?

Pourquoi ça se passe si bien dans certaines commissions scolaires, alors que dans certaines, la mienne en particulier, nombre de familles sont menacées, surveillées à outrance, et même signalées injustement à la DPJ?

Est-ce qu’il serait possible, un jour, que les parents soient reconnus comme des personnes intelligentes et capables de s’occuper de leurs enfants, y compris de leur éducation?

Est-ce trop demander de ne plus être considérée comme « juste une maman », mais bien comme un parent-éducateur compétent et qui a le bien-être de son enfant à cœur?

Est-ce possible de créer un climat de confiance dans lequel la parole du parent est respectée et crue?

Je n’ai pas fini de me battre!


Ce soir, en parlant de tout ça avec Alexandre, j’ai réalisé que je n’avais pas fini d’être « juste une maman ». L’an prochain, grande M. ira au secondaire et le bal des plans d’interventions et des rencontres parent-enseignant reprendront. Encore une fois, je devrai faire valoir mon point de vue, défendre mon enfant, me tenir debout. Et espérer être entendue et reconnue, même si je suis « juste une maman »…

mardi 26 avril 2016

École à la maison : fin de parcours

Plus que deux mois et l’année scolaire sera terminée pour les écoliers du Québec.

Pour grande M. et moi, ce sera la fin d’une expérience à la fois extraordinaire et enrichissante, mais aussi très exigeante : l’école à la maison.

Au bout du compte, elle aura fait sa 3e, 4e, 5e et 6e année à la maison. Nous avons rencontré des familles formidables qui ont fait le même choix éducatif que nous, nous nous sommes faits des amis pour la vie, avons appris tout plein de choses, fait de magnifiques sorties et activités qui n’auraient pas été possibles si elle avait été à l’école.

D’un point de vue académique, je ne sais pas si j’ai vraiment pu faire mieux que ce que l’école aurait fait si elle y était restée. Ses troubles d’apprentissages sont toujours là, bien entendu, et ne disparaîtront jamais. Mais je pense sincèrement que l’enseignement en un à un, sans les distractions présentes dans un contexte scolaire ni la pression de performance qui vient automatiquement avec les constantes évaluations, lui a permis d’apprendre plus calmement. Chose certaine, son rythme a été respecté et j’ai pu adapter les méthodes d’enseignement à sa façon propre de comprendre et d’apprendre.

D’un point de vue social, je suis absolument certaine que l’école à la maison lui a été bénéfique. Elle était plutôt rejetée, quand elle allait à l’école, et ça l’a beaucoup marquée. Dans le groupe d’école maison, elle a rencontré des amis qui l’ont acceptée sans jugement. Elle n’était pas identifiée comme « la pas bonne à l’école, celle qui dérange en classe et qui est différente ». Pour les enfants qui ne vont pas à l’école, ces qualificatifs n’ont pas de sens, de toute façon. Elle pouvait devenir amie avec des enfants, garçons ou filles, qui avaient des intérêts communs avec elle, peu importe leur âge ou leur niveau scolaire. D’ailleurs, les enfants scolarisés à la maison ne se demandent jamais « tu es en quelle année? », ça n’a pas de sens pour eux. Plus vieux et plus jeunes jouent ensemble selon leurs atomes crochus, et je n’ai jamais vu d’enfant rejeté dans le groupe d’école à la maison.

Cette expérience de socialisation positive, où grande M. a été acceptée pour ce qu’elle était, a eu un impact majeur sur sa confiance en elle. Elle s’est ensuite facilement intégrée aux scouts, puis au camp d’été où elle a séjourné deux semaines l’été dernier, et elle dégage confiance, humour et ouverture aux autres. Elle sait maintenant qu’elle peut se faire des amis et quelle valeur elle a en tant que personne.

Je crois aussi qu’elle est plutôt fière d’avoir un parcours différent des autres. À cette étape-ci de sa vie, où l’adolescence pointe le bout de son nez et que chaque jeune veut se distinguer des autres, être unique et attirer l’attention, on peut dire que de ne pas avoir été à l’école est une bonne façon pour elle de se démarquer! L’autre jour, nous étions au parc avec un groupe de familles qui font l’école à la maison. Ce parc se trouvant près d’une école secondaire, les élèves de l’école s’y sont rejoints pour passer le temps sur l’heure du diner. Parmi ceux-ci se trouvait une amie de grande M., qui va aux scouts avec elle, entourée de sa « gang ». Lorsqu’elles se sont vues, grande M. et son amie se sont jetées dans les bras l’une de l’autre et les jeunes filles de la gang se sont mises à poser mille et une questions à grande M. « À quelle école tu vas? Qu’est-ce que tu fais au parc? Tu es avec qui? » Grande M. leur a expliqué qu’elle faisait l’école à la maison et qu’elle était au parc avec sa mère et des amis du groupe d’école maison. Après les exclamations typiques (« Tu ne vas pas à l’école? Mais c’est qui ton prof? Comment tu passes tes examens? »), se sont suivis des commentaires, typiques eux aussi : « Tu ne vas pas à l’école!!! Wow, tu es tellement chanceuse!!! » Grande M. rayonnait de fierté et s’amusait ferme à répondre à toutes ces questions!

Que de temps a passé depuis que j’ai retiré de l’école une petite poupoune de 2e année, déprimée, rejetée et dont l’estime d’elle-même était au 10e sous-sol! Je me retrouve aujourd’hui avec une grande fille de 12 ans, presque 13, confiante, sûre d’elle, pleine d’humour et de joie de vivre, qui est consciente de ses difficultés et de ses limites, mais qui les accepte.

L’an prochain, c’est le secondaire qui l’attend. Elle a passé des examens de français et de maths en janvier, afin de la classer pour son retour à l’école. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Je sais bien sûr ce qu’elle est capable de faire et où elle est rendue, académiquement, mais comme je n’avais aucune idée du format des examens et du type de questions posées, je ne savais pas ce que ça donnerait.

Finalement, elle a eu de bons résultats en français (60 % en rédaction de texte et 62 % et 64 % en compréhension de textes). Pour une dyslexique-dysorthographique, qui de surcroît n’avait pas pu être préparée aux examens parce que je ne savais pas ce qu’il y a aurait dedans, c’est très bien! En maths, par contre, c’est une autre histoire : elle s’est solidement plantée. Je m’y attendais. Les maths sont sa bête noire, particulièrement depuis la 5e année, où la matière s’est grandement complexifiée et est beaucoup plus abstraite qu’avant.

Je m’attendais à ce qu’ils la classent en formation adaptée, en raison de ses troubles d’apprentissage et du fait que ce soit un retour à l’école pour elle après quatre ans à la maison. Les intervenants scolaires l’ont plutôt classée au régulier, avec soutien en maths. Je ne sais pas trop quoi penser de ce classement. Une partie de moi est contente et fière, puisque ça lui permettra de choisir l’option Arts plastiques, qui est vraiment une grande passion pour elle. De l’autre côté, je sais que ce sera un énorme défi et je crois que la formation adaptée aurait peut-être été préférable pour elle. Or, comme ses résultats en français sont satisfaisants, elle n’aura pas accès à ce programme.

J’ai décidé de ne pas m’en faire avec ça. Si elle se plante l’an prochain, ils réviseront probablement son classement. Et si, encore une fois, elle me surprend et s’en tire bien, alors tant mieux! De son côté, grande M. n’est pas du tout inquiète ni anxieuse par rapport à son entrée au secondaire et je suis toujours pleine d’admiration face à sa confiance en elle et en l’avenir. Moi qui suis anxieuse de nature, je l’envie tellement de ne pas avoir peur! Je vais m’inspirer d’elle et simplement me dire qu’advienne que pourra. En fait, sa seule inquiétude pour l’an prochain, c’est de voir si les filles qui se moquaient d’elle quand elle allait à l’école allaient encore être sur son dos… Ce rejet l’a vraiment beaucoup marquée, malheureusement.  J’essaie de la rassurer en lui disant que les gens changent, et que ça fait déjà quatre ans depuis cette époque. Il y a de bonnes chances que tout ça soit du passé. De toute façon, aujourd’hui, elle saurait bien répliquer et se défendre…


D’ici la fin de l’année scolaire, nous devrons aller présenter un portfolio à la direction d’école et peut-être grande M. devra-t-elle faire des examens de fin d’année, ça reste à confirmer. Nous faisons donc essentiellement de la révision, surtout en maths, et nous avons aussi beaucoup de sorties et d’activités prévues avec le groupe d’école maison. Et on va profiter du temps qu’il nous reste ensemble, grande M. et moi, pour finir en beauté cette magnifique aventure d’école maison!