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lundi 14 mars 2016

Peur de vieillir

En fin de semaine, nous sommes allés à l’urgence avec petite É. Elle a fait une mauvaise chute et avait de grandes douleurs au cou. Finalement, les radiographies n’ont révélé aucune atteinte à la colonne vertébrale et elle s’en tire avec un solide torticolis. On a eu toute une frousse, c’est fragile un cou, mais ce n’est rien de grave, heureusement!

L’urgence était très achalandée et plusieurs patients étaient couchés sur des civières, dans le couloir, faute de chambres.

Tandis que nous attendions que petite É. passe ses radiographies, j’ai aperçu un homme qui semblait très âgé, semi-couché dans sa civière. Il n’avait presque plus de cheveux, sa peau était si pâle et mince qu’on pouvait clairement distinguer ses veines à travers. Il était mal installé dans son lit, sa couverture avait glissé et laissait voir ses jambes toutes maigres et son caleçon blanc. Il était seul, sans accompagnateur.

Je le voyais se tortiller de plus en plus sur son lit. Lorsque la radiologiste est passée près de lui, il a tenté d’attirer son attention : « C’est parce qu’il faudrait que j’aille aux toilettes… » La radiologiste, l’air ennuyée, lui répondit : « Vous ne pouvez pas y aller, vous attendez pour vos radios. »

Docile, le vieil homme s’est recouché, l’air mal à l’aise et inconfortable. Lorsque la radiologiste est passée à nouveau devant lui, il lui dit à nouveau : « Faut que j’aille aux toilettes… » Elle lui répondit, d’un ton impatient, sans même le regarder : « Je vais voir ce que je peux faire ». Le monsieur m’a regardée, l’air dépité. Nous savions tous les deux qu’elle ne ferait probablement rien du tout.

Le monsieur se tortillait de plus en plus. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, il a essayé de se lever de son lit. Je lui ai alors dit de rester assis, que j’irais trouver quelqu’un pour l’aider, moi. J’ai vu un membre du personnel, je ne sais pas de quelle profession, entrer dans un bureau au fond du corridor. Je m’y suis dirigée.

Moi : « Excusez-moi, madame, mais il y a un monsieur très âgé qui a besoin d’aller aux toilettes, il demande depuis longtemps et personne n’est venu l’aider. Là, il essaie de se lever pour y aller… »

Intervenante, en soupirant : « Ah ben non, il ne peut pas se lever! »

Elle s’est dirigée vers lui : « Vous ne pouvez pas vous retenir, monsieur? Vous n’avez pas de couche? »

Monsieur : « Non, pas de couche. Non, là, je ne peux plus me retenir ben ben… »

Elle a quitté et quelques instants plus tard, une préposée aux bénéficiaires est enfin arrivée avec un contenant pour recueillir l’urine.

Préposée, parlant très fort : « Vous êtes monsieur qui, vous? »

Monsieur : « Monsieur X. »

Préposée : « Vous venez d’où? »

Monsieur : « De Saint-Hilaire »

Préposée, riant : « Hahaha, ben non, pas votre ville, votre département d'hôpital! Vous venez des urgences? De la gériatrie? Bon, vous allez faire pipi là-dedans ».

Monsieur : « C’est parce que j’ai une autre envie… »

Préposée, l’air découragée : « Ah ouin… ben là va falloir que j’aille voir dans votre dossier, je ne sais pas si je peux vous lever. »

Elle quitte, et revient plus tard accompagnée d’une autre préposée.

Préposée 1 : « Je ne trouve pas son dossier, je ne sais pas si on peut le lever. On apporte une bassine? »

Moi, qui assistais à la scène, j’étais mortifiée de penser que ce pauvre monsieur devrait faire caca dans une bassine, dans un couloir passant, sous les néons, sans aucune intimité.

Préposée 2 : « Attends, je vais retourner voir les dossiers ».

Pendant ce temps, l’autre préposée est restée près du monsieur, silencieuse. Elle ne lui a pas parlé, ne s’est pas intéressée à lui, ne lui a posé aucune question.

Préposée 1, de retour, toujours en parlant vraiment très fort : « C’est beau, on peut le lever! Venez-vous en, monsieur, on s’en va à la toilette! »

Les préposées se mirent à deux pour aider le vieil homme à se diriger vers la salle de bain. Il marchait à tout petits pas, sur ses petites jambes frêles. J’ai pensé qu’il allait être mieux bientôt. Avoir mal au ventre pendant plus d’une demi-heure sans pouvoir soulager son intestin, ça doit être terriblement inconfortable…

Je n’ai pas revu le monsieur, puisque peu de temps après, petite É. a terminé ses examens en radio et nous avons été emmenés dans une autre salle. Mais j’y ai beaucoup repensé.

Ce monsieur X, de Saint-Hilaire, avait toute une vie derrière lui. Peut-être avait-il eu une entreprise, ou un commerce, ou qu’il avait été employé quelque part. Peut-être aimait-il les arts, ou le sport. Il avait peut-être une épouse, ou peut-être en a-t-il eu plusieurs au cours de sa vie, qui sait? Des enfants, des petits-enfants, peut-être même des arrière-petits-enfants? Peut-être pas. C’était peut-être un homme solitaire. Ou un vieux garçon. Ou pas. Il a sans doute accompli plein de choses intéressantes dans sa vie. Il a peut-être déjà été reconnu pour des qualités ou des accomplissements particuliers. Peut-être pas non plus.

En fait, monsieur X, de Saint-Hilaire, est vieux. Sa vie, son passé, les événements qui ont fait de lui l’homme qu’il est n’ont pas beaucoup d’importance, quand il est seul à l’urgence. Sans doute les intervenants n’ont-ils pas le temps de s’intéresser à lui, ils sont très occupés après tout. Ou peut-être ne sont-ils pas très intéressés, tout simplement.

Ce soir-là, Monsieur X de Saint-Hilaire n’était qu’un vieil homme mal pris parce qu’il avait envie de caca.

Nous sommes bien peu de chose. Surtout quand on est vieux.


J’ai vraiment peur de vieillir…

10 commentaires:

  1. Je viens de passer la dernière année à l'hôpital en pointillé avec ma vieille maman. Ce que tu décris ... c'est malheureusement la norme. La compassion ... l'écoute... le souci... je n'ai pas vu ça. Sauf auprès de 3 personnes. En un an... c'est peu.

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  2. Que c'est triste, je n'ai pas d'autres mot :-(

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  3. Quelle triste réalité...
    Les personnes âgées dérangent... C'est tellement irrespectueux...
    J'espère que ta puce va mieux :-)

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  4. Horrible ce que tu décris! L'infantilisation, le manque d'humanité! Il y a plus que la vieillesse ici, il y a la mauvaise organisation des hôpitaux. Je regardais "les beaux malaises" hier qui traitait de ce problème avec à peine une pointe d'exagération.

    Si on est chanceux et si on travaille pour aussi, il est possible de vieillir en santé et là, tout est plus facile. La scène horrible que tu as vue, ce n'est pas "la vieillesse" en général. Des personnes âgées autonomes, actives, aimées et entourées, ça existe! C'est certain que de ne pas avoir eu d'enfants peut rendre les choses plus difficiles,et si on ajoute à cela la maladie et la pauvreté, le portrait global noircit et commence à ressembler à ton monsieur de l'urgence.

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  5. D'aussi longtemps que je me souvienne, j'ai toujours eu peur de vieillir. À l'adolescence, c'était de mourir dont j'avais peur, car je ne voyais pas comment, avec ma maladie, j'allais être capable de vivre vieille. Mais avec le temps, j'ai bien vu que c'était possible. Après ma greffe, j'ai fait l'erreur d'accepter un stage en gériatrie dans un hôpital. Ça été 1 mois et demi d'enfer, parce qu'à tous les jours, j'étais confrontée à ma peur, en voyant des personnes âgées en perte d'autonomie et laissées à elles-mêmes. C'était terrible. Je n'ai pas pu continuer.

    Le pire dans tout ça, je pense que ce n'est pas tant le fait de vieillir qui me terrorise, mais plutôt celle de vieillir seule et sans personne sur qui m'appuyer. C'est ça le vrai bobo. Et avec notre super système de santé, ce n'est pas en s'appuyant sur les intervenants qu'on va pouvoir s'en sortir...

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  6. Comme c'est triste. Espérons que ce monsieur à par la suite été entouré de ceux qu' il aime. Espérons que qqn prend soin de lui

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