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mercredi 16 juillet 2014

Elle n’est pas vite vite…



Aujourd’hui, je suis allée magasiner avec ma grande M., qui avait besoin de nouveaux vêtements.

Grande M. choisit plusieurs morceaux de vêtements et nous nous dirigeons vers les cabines d’essayage.

L’employée du magasin débarre la porte d’une des cabines, tout en lançant d’un trait à grande M. qui essayait tant bien que mal de démêler les vêtements qu’elle voulait apporter avec elle : « Tu as le droit d’essayer seulement six morceaux à la fois. Quand tu as fini avec des vêtements, tu peux me les donner pour que je t’en passe d’autres. La porte se barre toute seule, mets un cintre pour empêcher qu’elle se referme et se rebarre quand tu sors montrer tes vêtements à ta mère ».

Ces consignes sont tout à fait banales, me direz-vous. Pour la majorité des gens, peut-être. Pour grande M., qui a de nombreux « extras », dont une dyspraxie motrice, un trouble de l’attention et des difficultés à retenir des informations à court terme, c’était juste beaucoup trop de mots et d’instructions en même temps.

Elle est donc entrée dans la cabine avec six morceaux à essayer, et les difficultés commencent.

D’abord, en raison de sa dyspraxie, s’habiller est en soi un défi. Ses gestes sont si lents… Magasiner avec elle, c’est un exercice de patience en soi.

Elle ressort de la cabine pour me montrer les vêtements. Bien entendu, elle oublie de mettre un cintre pour empêcher la porte de se refermer. 

La dame débarre la porte à nouveau. Et cette séquence s’est répétée à plusieurs reprises : grande M. sort de la cabine, oublie de mettre le cintre ou pense à le mettre trop tard, quand la porte s’est déjà refermée. La dame redébarre la porte, en soupirant.

Après un certain nombre de fois, l’employée décide de laisser sa clé dans la serrure afin que grande M. puisse débarrer la porte elle-même. Ça semble une bonne idée!

Sauf que pour grande M., ça n’a pas vraiment facilité les choses. Même à la maison, elle a beaucoup de difficulté à entrer la clé dans la serrure et à la tourner dans le bon sens. Cette fois, ayant en plus des vêtements dans les mains et devant tourner la clé ET la poignée en même temps, c’était impossible pour elle d’y parvenir.

Je la regardais aller, le cœur gros. C’était un exemple flagrant de dyspraxie, où tous les petits gestes, même les plus simples, lui demandent un effort colossal.

Vient ensuite le temps de démêler les vêtements essayés de ceux qui lui restent à essayer. Ouf, c’était compliqué! Complètement désorganisée, grande M. avait mélangé tous les vêtements, qui étaient froissés, mêlés, à l’envers dans la cabine. Elle n’arrivait plus à se coordonner, se rappeler et s’organiser pour remettre à l’employée les vêtements qui ne faisaient pas ou qu’elle ne souhaitait pas garder.

« Elle n’est pas réveillée, ce matin, on dirait! », s’exclame l’employée.

Je ne dis rien. Je ne sais pas quoi dire de toute façon. J’essaie d’aider grande M. de mon mieux tout en m’occupant de petite É. qui s’impatiente.

Grande M. retourne dans la cabine. Puis en ressort, elle a oublié quelque chose. Elle oublie bien sûr de mettre le cintre, la porte se rebarre. La dame lui débarre à nouveau. « Elle n’est vraiment pas réveillée, dit-elle à mi-voix. Puis, s’adressant à grande M. : « N’oublie pas de mettre un cintre la prochaine fois, là! »

Grande M. sort à nouveau de la cabine, les bras pleins de vêtements, tout empêtrée. Elle ne met pas le cintre, la porte se referme. 

J’entends alors l’employée dire tout bas, d’un ton découragé : « Elle n’est vraiment pas vite vite… »

Coup de poignard dans mon cœur de maman. 

Je me retourne vers la dame et lui dit : « Elle est dyspraxique ». Elle me regarde comme si j’avais parlé en langage extraterrestre.

J’ai trop de peine pour lui expliquer ce que c’est. De toute façon, je ne suis pas certaine qu’elle aurait compris.

Je reporte mon attention sur ma grande fille, maladroite, embourbée dans les vêtements, pour l’aider à faire son choix. Je l’aide à tout démêler et à déterminer ce qui fait, ce qui ne fait pas, ce qu’elle garde et ce qu’elle ne prendra pas.

Nous sommes si habitués aux particularités de notre fille que nous ne les voyons plus vraiment. Ce sont dans des situations comme celle que nous avons vécu aujourd’hui que ses difficultés me sautent aux yeux.

Ma fille a l’air d’une « pas vite ». Elle a l’air maladroite. Elle a l’air de ne pas respecter les consignes. Elle a l’air vraiment lente. Elle a l’air désordonnée et désorganisée.

Ma fille est dyspraxique. 

Personne ne peut le savoir en la regardant. Personne ne peut deviner que pour elle, les gestes simples sont compliqués. 

Tout ce qui requiert ne serait-ce qu’un peu de coordination est un énorme défi. Personne ne peut savoir toute l’énergie physique et mentale qu’elle doit déployer simplement pour tourner une clé dans la serrure et tourner la poignée du bon côté. 

Personne ne peut comprendre qu’elle est incapable de se faire un système de classement et d’organisation efficace par elle-même.

Je me réconforte un peu en me disant que grande M. n’a pas entendu le commentaire désobligeant de la dame. Elle était si concentrée sur ce qu’elle faisait que je sentais presque la surchauffe de son cerveau!

Tant mieux. Cette hyperconcentration l’a peut-être sauvée d’une grande peine.

Ma fille n’est pas une « pas vite ». Elle est dyspraxique. Voilà tout.

8 commentaires:

  1. Avant de te lire, je ne connaissais pas la dyspraxie... Je vois bien que c'est un combat quotidien pour ta grande qui doit composer avec. Mais elle peut être fière d'elle, car c'est une épreuve réussie ! ;-)

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    1. Une épreuve à la fois, une réussite à la fois! Je ne sais pas si elle réalise l'ampleur de ses succès quand elle en vit, mais chose certaine, moi je le vois et je suis très fière d'elle.

      Grâce à ton commentaire, tu m'as fait réaliser que la dyspraxie est encore très peu connue. J'ai donc ajouté un lien vers un site qui explique ce qu'est ce handicap invisible. Merci, Aurélie!

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  2. Ça me fait toujours de la peine de lire des témoignages comme ça. Beaucoup parce que pour les personnes atteintes de fibrose kystique, ça arrive souvent qu'on se fait passer des commentaires désobligeants en public, parce que les gens ne savent pas, ont peur, sont pleins de préjugés... À moi comme tel, à part des regards méprisants dans le métro quand je toussais ou des gens qui se tassaient parce qu'ils pensaient que j'étais contagieuse, je me compte chanceuse de n'avoir jamais reçu de tels commentaires. Mais j'en ai entendu des vertes et des pas mûres de la part d'autres fibroses. Des gens qui disent à voix haute que "ça devrait rester chez eux à se soigner au lieu de contaminer tout le monde à tousser comme si t'es à l'article de la mort" ou "arrête donc de fumer, inconsciente". Les gens sont méchants parce qu'ignorants, ou des fois tout simplement stupides, si tu veux mon avis.

    Bien heureuse comme toi que Grande M. n'ait pas entendu le commentaire de la vendeuse. En souhaitant qu'elle puisse être épargnée encore quelques années. Tu as été bonne de ne pas la revirer de bord plus que ça. Moi, la fumée m’aurait sortie par les oreilles et elle aurait été se cacher sous sa caisse! Pour un cœur de maman, ça doit être encore plus dur à entendre. Je suis avec toi.

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    1. Habituellement, j'ai un sens de la répartie assez aiguisé et je ne me gêne pas pour dire ce que je pense. Mais cette fois-ci, la peine était trop grande. J'avais une boule dans le ventre et ça m'a laissée sans voix. Ce n'est que plus tard que la colère a pris le dessus et que plein d'idées de répliques me sont venues en tête.

      L'important, c'est que ma fille n'ai pas eu conscience de ces paroles méchantes. En fait, elle a même eu plus ou moins conscience de tout ce que j'ai raconté (difficultés à s'habiller, lenteur d'exécution, mauvaise organisation, etc.). Pour elle, c'est la seule façon d'être et de faire qu'elle connait et elle ne se compare pas vraiment aux autres. Elle était simplement très heureuse d'avoir trouvé des vêtements à son goût. Et c'est tant mieux!

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  3. On est tous parfois "pas réveillé"... ou lent...
    (ok; pas dyspraxique,... mais pas réveillé ou lent... ce qui revient au même dans ce genre de situation ;-) )
    Elle a trouvé des vêtements qui lui plaisent (et qui ne dépassent pas du budget)?
    Objectif atteint! Bravo!

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    1. C'est vrai, ça nous arrive tous d'être lents ou "pas réveillés" de temps à autre. Mais pour grande M., cette lenteur d'exécution et ces difficultés motrices sont quotidiennes. C'est ce qui rend la dyspraxie si difficile à vivre.
      Mais oui, elle a trouvé des vêtements qui lui plaisent, heureusement!

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  4. Il y a quelques mois, nous sommes allés acheter des souliers avec mon grand de 12 ans qui mesure presque 6 pieds ... et je me suis retrouvée à genoux à lui faire les lacets parce qu'il n'y arrive pas.
    J'ai réalisé à quel point nous sommes habitués de vivre avec la dyspraxie... et à quel point on a l'air fou en public !
    D'un côté les gens ne savent pas ... de l'autre ils sont prompts à juger.
    Moi aussi la gêne, la peine et la boule ds la gorge m'a fait manquer plus d'une répartie.
    Mais avec l'expérience je m'efforce de rétorquer, de prendre la défense... pas question de laisser un de mes enfants se recroqueviller sans rien faire. Même si ce n'est pas toujours facile, j,ai souri en lisant l'empetrage ds la cabine, nous aurions pu y être !!! :)

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    1. C'est vrai qu'on doit avoir l'air fou, des fois! Ou surprotecteurs, ou comme des parents qui traitent leur grand enfant comme un bébé...
      Habituellement, j'ai le sens de la répartie assez aiguisé et je suis capable de répliquer aux commentaires qu'on me passe. Mais cette fois-là, avec ma petite qui s'impatientait, l'énervement et la peine que ce jugement m'a fait, je n'ai pas trouvé les mots. Et puis, en regardant la madame du magasin, j'ai comme senti que d'expliquer ne servirait à rien... Que son idée était faite et que de toute façon, elle n'était pas très ouverte d'esprit!

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