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mercredi 9 juillet 2014

SLA, je te déteste



Trois lettres. Trois petites lettres de rien du tout. Mais qui apportent tant de douleurs, de souffrance et de peine…

La première fois que j’ai été confrontée à la SLA, c’est lorsque je travaillais en centre de réadaptation en tant que travailleuse sociale. J’y ai rencontré un couple tellement attachant, mais dont la vie avait pris une tournure si tragique… 

Monsieur venait tout juste de prendre sa retraite, après avoir durement travaillé toute sa vie. Ils avaient des plans de voyage, voulaient se gâter et profiter de la vie, espéraient devenir un jour grands-parents…

Paf, la maladie a frappé. Ces trois petites lettres. À l’automne, il a reçu son diagnostic. Il a perdu l’usage de ses mains, de la parole. Il a refusé tout traitement pour prolonger sa durée de vie. Chaque étape de la maladie dévastait davantage sa femme. Elle se sentait si impuissante, si démunie face à l’ampleur des pertes de son mari… À l’été, il était mort.

Quelle maladie affreuse, quelle horreur! 

Quand ma grand-maman a appris qu’elle était atteinte de la SLA, mon cœur s’est brisé en mille morceaux. Je ne savais que trop bien ce qui s’en venait. 

Ma grand-maman était pourtant en pleine forme. Elle prenait soin de sa santé, marchait tous les jours, suivait des cours d’activité physique pour les aînés. Elle faisait du bénévolat auprès des personnes en fin de vie à l’hôpital et dans un CHSLD. Elle était toujours là, vive et pleine d’énergie, pour s’occuper des autres.

Elle était toujours là pour sa famille, aussi. Elle s’est tant occupée de moi, de ma sœur, de mes cousins et cousines! Nous passions l’été avec elle au chalet, sur le bord de « son » lac. Elle nous couvait, nous dorlotait, nous chouchoutait.

Quand nous étions petits, elle nous chantait « La toutite », une berceuse qui se transmet dans ma famille, et que je chante aujourd’hui à mes enfants. Est toutite, toutite, toutite, pour se faire maganer-ner-ner. La petite fille à sa maman, est toutite, toutite, toutite…

Elle a pris et bercé mes enfants dès leur naissance. Étant bénévole à l’hôpital, elle n’avait pas besoin d’attendre l’heure des visites pour venir les rencontrer pour la première fois. Je suis si heureuse qu’elle ait pu connaître ses arrière-petits-enfants!

Un jour, une étrange douleur à la jambe l’a prise. Elle pensait avoir un nerf coincé dans le dos, puisqu’elle était tombée en sortant du bain. Voilà sans doute qui expliquait la faiblesse de sa jambe et son boitillement.

Elle a aussi commencé à avoir de la difficulté à déneiger sa voiture. Ses bras manquaient de force et lui faisaient mal. À 80 ans, c’est un peu normal, cette fatigue musculaire, non?

Ensuite, elle s’est mise à tomber. Souvent. De plus en plus souvent. Et surtout, à ne plus pouvoir se relever elle-même. Ses jambes étaient faibles, ses bras aussi.

Le nerf coincé dans le dos ne pouvait plus expliquer tout ça. Rendez-vous médicaux, examens de plus en plus poussés, diagnostic.

SLA.

Elle qui avait toujours été si alerte, si vive, si énergique, s’est rapidement retrouvée en CHSLD. En fauteuil roulant manuel, d’abord. Puis électrique, quand ses bras n’ont plus été capables de la propulser. 

Sa voix a faibli jusqu’à ne plus être qu’un murmure. Il fallait se pencher vers elle, se coller l’oreille sur sa bouche pour entendre ce qu’elle voulait nous dire.

Sa si jolie écriture est devenue toute tordue. Puis, elle n’a plus été capable d’écrire.

Fatiguée, prisonnière de son corps, elle dormait de plus en plus souvent.

Un jour, elle n’a plus été capable d’avaler. Elle a refusé le gavage. Ses jours étaient comptés.

Je suis allée la voir, un dimanche après-midi, l’hiver dernier. Ma mère m’avait prévenue : c’était impressionnant. Sa respiration était bruyante et laborieuse. Elle était rarement éveillée et consciente.

Je suis partie, ce dimanche-là, le cœur en lambeaux, mais déterminée. Je savais que je verrais ma grand-maman pour la dernière fois. Je voulais lui faire mes adieux.

Tout au long du trajet, j’ai retenu mes larmes de toutes mes forces. Je me suis même arrêtée dans une pharmacie pour m’acheter une boîte de mouchoirs en prévision du trajet de retour, anticipant déjà toutes les émotions qui me submergeraient.

Je conduisais et me concentrais sur la route, mais mon esprit était ailleurs. Il était auprès de ma grand-maman, plongé dans tous les souvenirs que j’avais avec elle.

Je suis arrivée au CHSLD, le cœur battant, le ventre serré, les yeux pleins d’eau.

Je suis entrée dans sa chambre. Elle respirait si fort! Elle était éveillée et me regardait.

Elle ne pouvait plus parler, mais m’écoutait, je le sais. Je le voyais dans son regard. Je l’ai trouvée belle. Je lui ai donné des bisous sur le front, j’ai tenu sa main. 

Je lui ai dit que je l’aimais. Je l’ai remerciée pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Elle a eu quatre enfants. Moi aussi. Elle était mon inspiration.

Je lui ai dit de saluer grand-papa pour moi quand elle le rejoindrait.

Je l’ai avertie que je la dérangerais souvent : je parle régulièrement à « mes morts » : mes deux grands-papas, mon arrière-grand-mère, ma grand-tante, mon cousin. Je sais qu’ils m’écoutent et qu’ils sont toujours là pour moi. Elle allait faire partie de mes anges gardiens, désormais.

Je n’avais plus envie de la quitter. Je suis sortie de la chambre à reculons. Et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Je suis revenue chez moi en essayant de conduire à travers mes larmes.

J’avais une grande, une énorme peine. Mais j’étais en paix. Je l’avais vue, touchée, et je lui avais dit tout ce que je voulais lui dire. Elle m’avait entendue, j’en suis certaine.

Ce soir-là, elle est décédée. Ses souffrances étaient terminées, enfin.

Elle me manque tellement! Je pense si souvent à elle.

Je t’aime, grand-maman.

SLA, je te déteste.

6 commentaires:

  1. Je ne sais pas quand exactement a eu lieu le décès de ta grand-maman, mais je t'offre toutes mes condoléances. Voir quelqu'un qu'on aime beaucoup partir de cette façon est affreux...

    La première fois que j'ai entendu parler de la SLA, c'était dans un film à la télé. Je n'ai pas été capable de le regarder jusqu'à la fin. Ça me bouleversait trop. Je pense que c'est là que j'ai commencé à avoir peur de vieillir.

    Ma propre grand-mère est "parquée" dans un CHSLD, atteinte de démence depuis plusieurs années déjà. Elle ne parle plus, ne marche plus, ne peut plus manger toute seule, ne nous reconnait plus. C'est aussi pire, je pense. Sauf que je n'ai jamais vraiment été proche d'elle. Je trouve ça triste, mais ça ne me touche pas autant que toi. Sauf que je ne peux pas aller la voir, parce que ça me remet mes peurs en pleine face. C'est poche, vieillir...

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    1. Merci pour tes condoléances. Ma grand-maman est décédée en février dernier, mais évidemment, comme le sol était gelé, nous avons mis ses cendres en terre seulement hier.

      Je te comprends d'avoir peur de la mort, peur de la maladie, peur de la vieillesse. Je trouvais si éprouvant d'aller visiter ma grand-mère et de voir toutes ces personnes âgées au CHSLD, "parquéees" là, comme tu dis. Toutes ces personnes qui ont pourtant eu des vies comme la nôtre, autrefois, qui ont vécu plein de choses, aimé, travaillé, dansé, ri, pleuré... Et qui aujourd'hui se retrouvent seules dans un centre, malades.

      Il faut profiter de la vie à fond! Vivre, tandis qu'on est vivants!

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  2. Bonjour...
    Je découvre ton blog en suivant un lien vers un de tes articles, relayé sur FB par notre groupe de Scouts, constate avec un sourire que vous faites aussi l'école-maison, puis vois cet article... J'haïs la SLA. Le 18 janvier dernier, c'est ma maman qui s'est endormie, envolée dans son sommeil, suite à plus de 4 années de cette maladie horrible. Je n'arrive pas à réellement faire mon deuil, mais j'étais plus ou moins préparée (mais pas prête) à la nouvelle, à l'appel du médecin, en pleine nuit, en décalage horaire : je suis au Québec et elle était en Bretagne. Je me revois, la terreur au visage, la gorge nouée et des sueurs froides, courant, volant presque, jusqu'au téléphone, sans que je m'en rende compte, le choc, puis le tumulte entre les appels, le voyage avec mon bébé et tous les arrangements et la paperasse à faire... Tout est encore en cours. J'ai hâte que tout soit fini pour pouvoir effectivement faire mon deuil. Je souffre, mais indirectement, mes enfants devant lesquels j'essaie de ne pas pleurer, aussi : du coup, ça ne sort pas de la façon qu'il faudrait et je ne suis pas aussi disponible que je le voudrais, émotionnellement.
    Plus de 4 années donc, où j'ai effectivement vécu les fameux paliers comme autant de paliers dans mes propres émotions, des montagnes russes parfois, et à chaque fois, l'espoir que ma mère essayait de nous transmettre, de garder... L'espoir de rester encore sur cette Terre un peu plus. Elle aimait la vie et ne voulait en garder que le positif. Je me rends compte en l'écrivant que de me voir aussi négative ne lui ferait pas du bien!
    Ta grand-mère est partie après t'avoir revue. Ma mère est partie après que je lui ai parlé une dernière fois, que mes enfants lui aient tous redit qu'ils l'aimaient, qu'elle ait revu (vive skype!) mon bébé lui sourire encore une fois, et que je lui ai appris que l'assurance contre laquelle elle essayait un recours pour se faire rembourser l'hypothèque de la maison (depuis qu'elle était malade : ils essayaient de s'en sauver!) avait fini par proposer un recours amiable hors cours. Elle a acquiessé des yeux. Elle a trouvé soulagement et repos. Et elle s'est endormie après un sourire à son assistante de vie.
    Nous avons bien des points en commun, toi et moi. Mais tu es bien plus positive que moi : j'aspire à le devenir, une fois que je vais avoir réussi à me poser.
    Et j'ai 4 enfants moi aussi : mon aînée est Guide, et mon grand garçon, Scout. Mon 3e a hâte d'en avoir l'âge! :)

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    1. Tout d'abord, toutes mes sympathies pour la perte de ta maman. Cette terrible maladie est tellement pénible à vivre! Ma grand-maman a vécu un an et demi suite à son diagnostic et tout a déboulé si vite... Prends le temps de vivre ton deuil et prends bien soin de toi.

      Nous avons beaucoup de points en commun, c'est vraiment spécial! Je suis contente que tu aies pris le temps de m'écrire et je te remercie pour tes bons commentaires.

      Au plaisir d'avoir à nouveau de tes nouvelles!

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  3. Merci beaucoup pour ta belle réponse. :)
    Je suis désolée pour ta grand-mère, je sais combien c'est dur. Et puis c'est allé assez vite, en plus, je trouve :( Ce qui est difficile à vivre lors de cette maladie, c'est qu'en plus de ce que doit traverser la personne, c'est toute la famille qui en souffre parce qu'on voit la descente et on espère un long, très long palier, ou on espère des tests, un médicament qui arrête la maladie, quelque chose à quoi se raccrocher, dans le fond. Et pour peu que l'on soit proche du malade, on vit intensément la descente, nous aussi, chacune est un choc à gérer émotionnellement.
    Je ne sais pas si tu le peux, mais si oui, prends toi aussi du temps pour toi. J'aimerais pouvoir aussi. :)

    Je me suis abonnée à ton blog, alors je ne manquerai pas de suivre tes nouvelles! Je suis bien heureuse de te lire avec ces quelques points en commun! ;) À très bientôt! :)

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    1. Je vais essayer de prendre du temps pour moi (pas évident, tu sais ce que c'est avec les mousses...), et je te souhaite de le faire toi aussi. C'est important de savoir s'arrêter un peu et de s'occuper de nous-mêmes, parfois...

      Je suis contente que tu te sois abonnée, merci! Et redonne des nouvelles!

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